Classées par ordre chronologique, ces Lettres de prison ont été rédigées dans un espace particulier interdisant toute liberté de mouvement, hormis les promenades quotidiennes dans une petite cours, espace empêchant tout contact avec le monde extérieur (à l’exception des visites au parloir). Néanmoins, cet espace n’a pas su priver l’esprit de sa liberté et c’est, au demeurant pour nous, l’un des enseignements essentiels de ces lettres. En effet, lorsque l’homme est privé de ce qu’il a de plus cher, en plus de sa bonne santé (bien précieux que le docteur Taleb-Ibrahimi faillit bien perdre pour toujours, lui qui fut malade à maintes reprises durant sa détention), la liberté d’esprit est tel l’oiseau migrateur pour qui les frontières sont étrangères parce qu’il n’en connaît pas, lui qui a le ciel pour horizon et le vent qui souffle pour compagnon de jeu, planant sans effort aucun au gré des vents qui le portent.
Durant les années 1957 à 1961 (période pendant laquelle ont été rédigées ces lettres), on y lit le désarroi d’un homme qui, dans sa toute première lettre adressée à son frère aîné (lettre qui montre combien la famille, en pareilles circonstances, est vitale) écrit, en invitant son frère à transmettre un message à sa mère : « Dis-lui aussi que, dans la conjoncture présente, les principes que m’a inculqués père mènent pour le moins en prison ! »
Première remarque lourde de sens qui plonge le lecteur dans une réflexion aussi profonde que nécessaire : y a-t-il des causes qui méritent que l’on perde sa liberté au nom de principes prétendument intangibles ? Ces 86 lettres ne sont pas, on le voit d’emblée, une simple collation d’écrits destinés à « tuer le temps » dont on ne manque pas en prison. Elles sont une bouffée d’air, un cri de douleur et d’espoir à la fois et peut-être, plus que tout cela, un indispensable exutoire. La publication de ces lettres s’inscrit dans la volonté de l’auteur « de leur conserver un caractère de témoignage » perpétuant, à sa façon, ce que le Prophète en des temps reculés avait enjoint à ses Compagnons lors du pèlerinage d’adieu : « Que les présents transmettent le message aux absents. »